I. MESURES DÉJÀ EN VIGUEUR
1. Assouplissement des conditions de la clause d’écolage
Un travailleur salarié, dont la rémunération excède 34.180 EUR et qui bénéficie d’une formation payée par son employeur peut être tenu, en vertu d’une clause d’écolage, de rembourser en partie le cout de formation en cas de départ (démission ou licenciement pour motif grave) avant l’expiration d’un délai convenu. La clause doit être conclue par écrit, individuellement pour chaque travailleur, et au plus tard au moment où débute la formation. Sa durée de validité doit être proportionnelle à la durée et au coût de la formation, et le montant dû par le travailleur doit diminuer (80% - 50% - 20%) suivant que son départ intervient au début ou à la fin (avant 1/3 - entre 1/3 et 2/3 - après 2/3) de la période convenue.
En exécution du jobsdeal, une loi du 14 octobre 2018, entrée en vigueur le 10 novembre 2018, prévoit à présent que pareille clause peut être conclue indépendamment du salaire du travailleur si elle concerne une formation à un métier en pénurie.
2. Droit individuel à une fin de carrière en douceur
Depuis le 1er janvier 2018, le travailleur âgé d’au moins 58 ans peut opter pour un allégement de sa charge de travail et se voir octroyer une intervention financière par le secteur ou l’employeur en compensation de la perte de salaire. Cette indemnité est exclue de la notion de rémunération et de ce fait exonérée de cotisations sociales, à condition toutefois que :
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les mesures visant à alléger la charge de travail (glissement d’un travail en équipe ou de nuit vers un régime de jour normal, diminution de la charge de travail) aient pour conséquence une perte de salaire ;
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le travailleur preste encore effectivement à concurrence d’un 4/5èmes temps minimum ;
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le travailleur ait atteint l’âge de 60 ans si la mesure consiste uniquement en un passage d’un emploi à temps plein à un emploi 4/5èmes temps ;
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l’indemnité soit fixée par une CCT sectorielle ou d’entreprise ou par une modification du règlement de travail, stipulant expressément les mesures pour lesquelles elle est octroyée, prises en application de la CCT n°104 concernant la mise en œuvre d'un plan pour l'emploi des travailleurs âgés pour les entreprises relevant du champ d’application de cette CCT.
Un arrêté royal du 12 décembre 2018 a simplifié la procédure, ressentie comme trop lourde sur le plan administratif. Depuis le 1er janvier 2019, l’indemnité complémentaire peut également être régie par une convention individuelle écrite conclue entre le travailleur et l’employeur, tout en étant exonérée de cotisations sociales aux mêmes conditions que l’indemnité régie par CCT ou modification du règlement de travail.
II. MESURES APPROUVÉES MAIS PAS ENCORE EN Vigueur
1. Projets d’arrêtés royaux
Une série de projets d’arrêtés royaux ont été approuvés par le Conseil des ministres en novembre et début décembre 2018.
a. Modifications en matière de crédit-temps de fin de carrière et de crédit-temps formation
Les conditions d’âge pour bénéficier d’un crédit-temps de fin de carrière d’une part et d’allocations d’interruption durant le crédit-temps d’autre part, ne sont pas encore harmonisées. Le crédit-temps peut être obtenu auprès de l’employeur dès 55 ans en règle générale (sous réserve de certaines exceptions où l’âge d’accès est abaissé à 50 ans), tandis que les allocations d’interruption ne peuvent être obtenues qu’à partir de 60 ans (ou à partir de 58 ans, portés à 60 ans au 1er janvier 2019, dans les cas d’exceptions prévus par l’arrêté royal du 12 décembre 2001). Cette différence concerne toutes les premières demandes ou les nouvelles demandes non continues intervenues à partir du 1er janvier 2015.
Donc, concrètement, un travailleur salarié peut, en règle générale, bénéficier d’un crédit-temps de fin de carrière dès ses 55 ans, mais il ne pourra percevoir des allocations que lorsqu’il aura 60 ans.
Un premier projet d’arrêté royal relève la condition d’âge pour le droit au crédit-temps de 55 à 60 ans, ce qui aura donc pour effet de faire coïncider le droit d’accès au crédit temps de fin de carrière avec le bénéfice des allocations d’interruption.
Un deuxième projet approuvé d’arrêté royal offre la possibilité aux travailleurs âgés qui ont bénéficié d’allocations dans le cadre d’un crédit-temps de fin de carrière avant le 1er janvier 2015, et qui l’ont interrompu pour prendre un congé thématique, de reprendre ensuite leur crédit-temps avec maintien du droit aux allocations.
Enfin, un troisième projet d’arrêté royal prévoit que la durée du crédit-temps avec motif « formation », qui est actuellement de 36 mois maximum, peut être prolongée de 12 mois pour atteindre 48 mois, si la formation permet d’accéder à un métier en pénurie.
b. Indemnités d’incapacité de travail pour les travailleurs indépendants après l’âge de la pension
Le Gouvernement a décidé d’ouvrir un droit aux indemnités d’incapacité de travail de 6 mois maximum aux personnes, tant salariées qu’indépendantes, qui continuent à travailler après l’âge légal de la pension et qui tombent malades. Actuellement, elles perdent le droit aux indemnités d’incapacité de travail dès qu’elles atteignent cet âge, et sont donc contraintes de partir à la retraite quand elles tombent malade. Un projet d’arrêté royal exécute cette décision dans le régime des travailleurs indépendants (cf. infra pour les travailleurs salariés).
c. Cumul des allocations d’interruption avec l’exercice d’une activité indépendante
Le travailleur du secteur privé et du secteur public qui décide de réduire ses prestations de travail dans le cadre des congés thématiques, de l’interruption de carrière et du crédit-temps, pourra cumuler ses allocations d’interruption avec les revenus d’une activité d’indépendant à titre complémentaire.
d. Paiement accéléré des allocations de maternité aux travailleuses indépendantes
Le paiement des allocations de maternité peut intervenir jusqu’à un mois après la dernière semaine du repos postnatal, ce qui conduit à des indemnisations très tardives. Afin de remédier à cette situation, un paiement mensuel couvrant chaque semaine échue au moment du paiement est prévu, et le premier versement doit intervenir dans les 30 jours à compter du premier jour du repos de maternité.
e. Renforcement des conditions d’accès au régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC)
Un projet d’arrêté royal modifiant l’arrêté royal du 3 mai 2007 fixant le régime de chômage avec complément d’entreprise (ancienne prépension) rehausse, dans le régime général de la CCT n°17, la condition de carrière à 41 ans (contre 40 ans actuellement) et l’âge d’accès au RCC, lorsqu’il s’agit d’une entreprise en difficulté ou en restructuration, à 59 ans et à 60 ans en 2020 (contre 56 ans actuellement). En outre, dès 2020, le bénéficiaire d'un RCC dans le cadre de la reconnaissance d'une entreprise en difficulté ou en restructuration, ne pourra être dispensé de l’obligation de disponibilité adaptée sur le marché du travail qu’à partir de 65 ans ou lorsqu’il justifie d’un passé professionnel de 43 ans (contre 63 ans ou 41 ans actuellement).
2. Projet de loi : mobilité durable
Deux projets de loi ont été déposés par le Gouvernement en matière de mobilité durable. L’un relatif à la modification du régime cash for car, et l’autre visant à instaurer un budget de mobilité. Ces mesures, qui font également partie du deal pour l’emploi sont détaillées dans notre tetralert « Cash for car et budget mobilité : un double emploi ? ».
Aux dernières nouvelles, le budget mobilité pourrait bien entrer en vigueur en mars de cette année. La Commission Finances du Parlement a en effet adopté mercredi dernier le texte instaurant le budget mobilité. Il pourra être définitivement adopté, après avoir été voté en commission des Affaires sociales et en séance plénière.
La modification dans le régime cash for car n’a cependant pas encore été votée. Il est prévu qu’elle fasse l’objet d’une seconde lecture dans deux semaines.
3. Avant-projet de loi
En novembre, le Conseil des ministres a également approuvé un avant-projet de loi qui met en œuvre plusieurs autres mesures du jobsdeal :
a. Salaire de départ pour les jeunes
Pour encourager l’embauche des jeunes, une loi du 26 mars 2018 a instauré une réduction du salaire brut (-6, -12 ou -18%) des travailleurs âgés de 18 à 20 ans au bénéfice des employeurs. Afin que la rémunération nette du jeune demeure inchangée, l’employeur lui paie un supplément forfaitaire, exonéré de retenues fiscales et de cotisations sociales. Un tableau détaillant les montants de ce supplément forfaitaire en fonction de l’âge et de la rémunération non réduite est prévu par la loi mais il est apparu, après analyse, que l’effet sur le salaire net d’une réduction du salaire brut peut fortement différer selon la situation. L’avant-projet de loi revoit le système : le supplément ne sera plus calculé sur la base d’un tableau, mais il sera déterminé par la différence entre le salaire net calculé sur la base de la rémunération brute réduite et le salaire net calculé sur la base de la rémunération brute non réduite.
b. Outplacement pour les travailleurs dont le contrat prend fin pour force majeure médicale
La rupture du contrat de travail pour cause de force majeure médicale ne constituant pas légalement un licenciement, ces travailleurs n’ont pas droit à un outplacement (procédure de reclassement professionnel). Un droit à l’outplacement (d’une valeur de 1800 EUR et offert par l’employeur) ou à un accompagnement équivalent via les fonds sectoriels sera dorénavant prévu pour ces travailleurs.
c. Inscription rapide auprès des services pour l’emploi
Afin d’assurer une transition rapide vers un nouvel emploi, les travailleurs licenciés doivent s’inscrire auprès des services régionaux de l’emploi dans le mois suivant la fin de leur contrat de travail. L’avant-projet de loi prévoit que le travailleur dispensé de prester son préavis devra dorénavant s’inscrire dans un délai d’un mois à compter de l’accord sur la dispense des prestations, sans attendre la fin de son contrat de travail. L’employeur sera tenu de l’informer par écrit de cette obligation.
d. Nouvel assouplissement en matière de clause d’écolage
Des conditions plus souples ont déjà été introduites (cf. supra). En vertu de l’avant-projet de loi, une telle clause pourra s’appliquer même quand la formation menant à un métier en pénurie se situe dans le cadre règlementaire ou légal requis pour l’exercice de la profession.
e. Indemnités d’incapacité de travail pour les travailleurs salariés après l’âge de la pension
Un travailleur salarié peut décider de continuer à travailler après avoir atteint l’âge légal de la pension pour atteindre une fraction de carrière complète ou, si celle-ci est déjà atteinte, recevoir une pension plus élevée. Actuellement, ce travailleur n’a droit aux indemnités d’incapacité de travail que jusqu’au dernier jour du mois suivant le mois au cours duquel l’incapacité de travail a débuté. Étant donné qu’il a en principe droit à un salaire garanti pendant 30 jours, les indemnités d’incapacité de travail lui sont accordées pour une durée très limitée. Il devra donc se contenter de sa pension de retraite après cette période. Il peut reprendre le travail après sa période de maladie, mais il ne se constitue plus de droits de pension supplémentaires. À l’avenir, le travailleur salarié qui n’a pas encore effectivement bénéficié de sa pension de retraite pourra bénéficier d’indemnités d’incapacité pendant 6 mois maximum.
Avec cet avant-projet de loi, la quasi-totalité du volet social du deal pour l’emploi a été approuvée par le Conseil des ministres. Reste encore à concrétiser les mesures relatives à la dégressivité des allocations de chômage et à la réforme des barèmes. La première vise à augmenter les allocations de chômage de la première période et à renforcer la dégressivité durant les périodes ultérieures. La seconde consiste à lier le salaire non plus à l’âge – ce système pénalisant la mobilité des travailleurs et favorisant le licenciement des travailleurs âgés en cas de restructuration - mais à la compétence et à la productivité.
4. Projet de loi portant « JOBSDEAL »
Plusieurs mesures du volet fiscal ont également été concrétisées dans un projet de loi « portant JOBSDEAL » déposé à la Chambre le 20 décembre 2018, alors que le Gouvernement avait déjà remis sa démission mais qu’elle était tenue en suspens par le Roi.
a. Exonération à l’impôt sur les revenus de certaines primes de formation octroyées par les Régions
Les primes régionales octroyées pour le suivi d’une formation menant à un métier en pénurie seront exonérées à l’impôt sur les revenus à concurrence de maximum 350 euros (montant de base : 220 euros), à condition que la prime soit accordée à des personnes qui étaient des chômeurs indemnisés au début de la formation et que la formation en vue d’un métier en pénurie ait été suivie avec succès.
b. Extension de l’exonération du précompte professionnel à la navigation en système
Le Code des impôts sur les revenus 1992 prévoit une réduction du coût salarial des travailleurs qui effectuent des prestations en équipe ou de nuit, par une exonération du versement d’une partie du précompte professionnel. Cette exonération sera étendue aux travailleurs dans la batellerie qui, en raison de la forme particulière de leur travail en équipe (« la navigation en système »), n’entraient pas en ligne de compte pour cette dispense.
c. Augmentation du nombre d’heures de travail supplémentaire bénéficiant d’un traitement fiscal avantageux
Le Code des impôts sur les revenus 1992 traite les 130 premières heures supplémentaires de manière avantageuse tant pour le travailleur (en prévoyant une réduction d’impôts) que pour les employeurs (en prévoyant une dispense de versement d’une partie du précompte professionnel). L’avant-projet de loi porte temporairement ce nombre à 180 heures, et sera, en cas d’évaluation positive de cette mesure en juin 2020, convertie en une mesure permanente. Les augmentations existantes à 360 heures pour l’Horeca et à 180 heures pour la construction sont maintenues.
d. Salaire de départ pour les jeunes
Le supplément octroyé aux jeunes de 18 à 20 ans dont la rémunération est réduite, ne sera plus forfaitaire mais compensatoire (cf. l’avant-projet de loi supra). Le projet de loi remplace la notion de « supplément forfaitaire » par « supplément compensatoire ».
III. Et maintenant ?
L’Etat belge est-il plongé dans cinq mois d’immobilisme, si bien que les mesures approuvées du jobsdeal vont passer à la trappe ? Pas nécessairement.
En affaires courantes, le champ d’action du Gouvernement est limité aux affaires urgentes (dans lesquelles il faut agir rapidement pour préserver les intérêts de l’Etat), aux affaires banales (dans lesquelles les décisions visent à assurer la continuité de la gestion des services publics, de la police et de l’État) et aux affaires en cours (aboutissement normal des procédures entamées avant la démission du Gouvernement, dont pourraient faire partie les points du jobsdeal déjà approuvés par le Gouvernement).
Dans ces limites, des projets de loi peuvent passer, à condition toutefois d’obtenir une majorité au Parlement. Notons que le projet de loi mettant en œuvre le volet fiscal du Jobsdeal a été abandonné le 15 janvier dernier à défaut de consensus en commission des Finances de la Chambre. La raison? Quand le texte a été déposé à la Chambre le 20 décembre 2018, le Gouvernement ne disposait plus de majorité puisque la N-VA l'avait déjà quitté.
Quant aux projets d’arrêtés royaux exécutant le jobsdeal, ils ne sont pas soumis au vote du Parlement. Avant leur entrée en vigueur, les étapes à suivre sont les suivantes : avis du Conseil d’Etat, signature du Roi, publication au Moniteur Belge. Dans le contexte actuel (avec un gouvernement minoritaire et à proximité de l'échéance électorale), ils semblent avoir plus de chance d’aboutir que les projets de loi. Toutefois, les arrêtés royaux pourraient être annulés par le Conseil d’Etat saisi d’un recours en annulation, s’il estime qu’ils dépassent les limites de l’expédition des affaires courantes.
Mais les projets de loi et arrêtés royaux ne sont pas les seuls moyens de concrétiser le jobsdeal. Des propositions de loi (initiées par les membres de la Chambre ou du Sénat) peuvent encore être déposées au Parlement pour le mettre en œuvre. D’après les dernières nouvelles, le MR, la N-VA, le CD&V et l’Open Vld seraient tombés d’accord ce jeudi 17 janvier pour déposer dans les prochains jours au Parlement des propositions de loi qui mettent en œuvre le jobsdeal tant dans son volet fiscal que dans son volet social. La N-VA aurait également préparé une proposition de loi au sujet de la dégressivité des allocations de chômage. Quant à la réforme des barèmes, dossier peu populaire qui, outre sa complexité, se heurte à une vive opposition syndicale, ses chances d’aboutir sont, au vu de la situation politique actuelle, pour ainsi dire inexistantes.